Focus – Les génies oubliés

Ils ont fait progresser la science à pas de géant. Trop visionnaires, trop féminins ou pas assez américains, ils et elles ont dû attendre la mort pour être justement reconnus.

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Portrait de Sophie Germain

SOPHIE GERMAIN
LA MATHEUSE INCONNUE

Sophie Germain, qui est née à Paris en 1776, découvre les mathématiques en pleine Révolution française. La matière la passionne. Au début du XIXe siècle, elle se met en tête de correspondre avec les éminences des chiffres. L’éducation ne faisant pas grand cas des femmes, elle s’invente un alter ego masculin. C’est ainsi que le célèbre professeur Lagrange et l’immense Carl Friedrich Gauss – celui de la courbe qui porte son nom – reçoivent des lettres signées Antoine Auguste Le Blanc. Sous ce pseudonyme, Sophie Germain leur expose de nouveaux outils de son cru capables de démontrer des théorèmes, dont celui de Fermat sur lequel la science sèche depuis un siècle et demi. La jeune femme tombe finalement le masque et Gauss lui reconnaît un génie supérieur. En 1808, l’empereur Napoléon Ier veut savoir pourquoi la musique, en faisant vibrer du sable déposé sur des plaques d’acier, dessine des formes géométriques. Il lance un concours que Sophie Germain remporte avec sa théorie sur l’élasticité des corps. Elle est la première femme ainsi récompensée par l’Académie des sciences. Mais sa condition empêche la publication de ses travaux. La mathématicienne meurt en 1831 sans avoir été reconnue par la communauté scientifique.

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Portrait de Charlotte Perriand

CHARLOTTE PERRIAND
DANS L’OMBRE DU CORBU

Longtemps, le mobilier Le Corbusier était signé de son seul nom. Des chaises, chaises longues et fauteuils que l’architecte prétendait avoir dessinés et qui brillent au sommet du design historique. On sait depuis une quinzaine d’années que ce sont en fait son cousin, Charles-Edouard Jeanneret, et surtout Charlotte Perriand, la designer de son bureau, qui sont les vrais auteurs de ces pièces dont on voit désormais les deux noms associés à celui de l’architecte. La même reconnaissance tardive permet désormais à Lilly Reich de sortir de l’ombre de Mies van der Rohe, l’architecte pour lequel elle créa l’essentiel de la production mobilière.

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Portrait de Rosalind Franklin

ROSALIND FRANKLIN
LA MÈRE DE L’ADN

L’image la montre l’œil scotché à son microscope. Elle a été prise en 1955, à une époque où Rosalind Franklin aurait dû être auréolée de gloire. La chercheuse ne le sait pas encore, mais dans trois ans un cancer de l’ovaire l’emportera sans qu’elle ait eu la reconnaissance qu’elle mérite. Depuis 1951, cette docteure en physique-chimie de l’Université de Cambridge possède pourtant son propre laboratoire au sein du King’s College de Londres. Elle y étudie la structure de l’ADN et parvient à mettre en évidence sa forme en double hélice. Trois autres chercheurs, Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkins mettent la main sur ses clichés à son insu et publient leur résultat en 1953 dans le magazine de référence Nature. Mise au courant, Rosalind Franklin exige de faire paraître dans le même numéro un article sur cet ADN hélicoïdal. En 1962, quatre ans après la mort de la chercheuse, le Prix Nobel de médecine est attribué à Crick, Watson et Wilkins. Seul ce dernier remerciera Rosalind Franklin sans qui cette découverte n’aurait pu avoir lieu.

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Portrait d'Augustin Mouchot

AUGUSTIN MOUCHOT
LE PIONNIER SOLAIRE

Il est le stéréotype du visionnaire précoce bousculé par son époque. Professeur de mathématiques et de physique, Augustin Mouchot s’intéresse dès 1860 à l’énergie solaire dont il saisit déjà le formidable potentiel. L’ingénieur prédit qu’au rythme où on l’extrait, le charbon va bientôt s’épuiser. Il préconise à la place l’utilisation du soleil, source gratuite, facile à exploiter et inépuisable. Il invente le premier moteur solaire en 1866 qu’il couple à une petite machine à vapeur. Conquis, l’empereur Napoléon III finance ses recherches, les procédés de Mouchot pouvant être la solution à la pénurie de charbon qui frappe la France. L’ingénieur reçoit la Légion d’honneur et la médaille d’or de l’Exposition universelle de 1878 à Paris. L’amélioration des voies ferrées assure bientôt le retour du combustible qui fait tourner les usines françaises. Les aides de l’État cessent du jour au lendemain pour Augustin Mouchot qui retourne à l’ensei-gnement. Il meurt en 1912 à Paris dans la plus profonde misère.

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Portrait d'Antonio Meucci

ANTONIO MEUCCI
LE TÉLÉPHONE PLEURE

« Venez Watson, j’ai besoin de vous ! » Alors, non, il ne s’agit pas de Sherlock Holmes appelant son fidèle acolyte, mais de Graham Bell qui réclame son assistant grâce à un tout nouvel appareil de son invention : le téléphone. Pour l’histoire, la première conversation téléphonique date donc du 10 mars 1876 à Boston. Elle consacrera son génial inventeur né en Écosse. Problème : Graham Bell n’est sans doute pas le père de cette technologie. Depuis 1989, on l’attribue, en effet, à l’Italien Antonio Meucci. Ce dernier communique depuis 1850 avec sa femme lourdement handicapée à l’aide d’un Telettrofono de sa conception. En 1872, il dépose à New York un brevet provisoire pour un Sound Telegraph qui fonctionne de la même manière. Meucci veut en faire la démonstration au vice-président de la Western Union Telegraph Company. Lequel retarde l’essai pendant deux ans, non sans avoir demandé à Meucci de lui fournir un prototype que Bell a sans doute pu étudier. Sans ressources, l’ingénieur de Florence laisse expirer son brevet temporaire. En 1876, Graham Bell dépose le sien. Cent cinquante ans plus tard, Rudolph Giuliani, maire de New York à l’époque, réhabilite l’inventeur en déclarant le 1er mai 2000, Meucci Day. Avant qu’en 2002, la Chambre des représentants des États-Unis reconnaisse officiellement son rôle dans l’invention du téléphone.

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